Un ciel sans nuage ce lundi à song donne le goût de ralentir. Même sensation quand on lit Kent Beck expliquer que sa création, Extreme Programming, n’a jamais visé la vitesse pure : « Aller moins vite tout de suite pour filer plus loin ensuite. » Voilà qui résonne étrangement à l’heure où l’IA crée sites, images et devoirs plus vite qu’un gamin ne clique sur « envoyer ». Si les logiciels deviennent trop rapides à produire pour être vérifiés, nos enfants, eux, risquent de croire que « vite » rime toujours avec « vrai ». Parlons de ça plus en détail : comment leur offrir l’esprit XP – tests, relecture, correction – sans installer Git dans la cuisine ?
1. Une lenteur qui sauve : la leçon cachée d’XP
Imaginez deux programmeurs face à un écran : l’un tape, l’autre relève les erreurs. Résultat ? Moitié moins de lignes, mais double qualité. Cette friction volontaire, chère à XP, évite que le projet parte en vrille – ces bugs qui s’empilent quand on avance sans regarder.
Même principe pour les familles : le « code généré » par la vie (devoirs copiés-collés, images IA, réponses ChatGPT) accélère tellement qu’on n’a plus le temps de valider. Ralentir, c’est donc:
- Relire ensemble le texte « magique » devant eux : « Trouve-tu cette phrase normale ? »
- Tester l’info : chercher une seconde source, vérifier l’auteur.
- Corriger en binôme : parent-enfant, cœur-à-cœur.
Une façon ludique de transformer la « bouillie numérique » en vrai savoir.
2. « Genie imprévisible » : expliquer l’IA sans la diaboliser
Kent Beck compare l’IA à un génie qui exauce vos vœux… à sa manière. Nos bambins adorent les mots-clés « dessine-moi » ou « raconte-moi », mais ignorent que le milieu du prompt – le cœur de la demande – est souvent mal généralisé, source d’erreurs.
Pour réveiller leur esprit critique, jouons à « Chasse au truc bizarre » :
- Lancez une image IA.
- Chacun note trois détails louches (ombres incohérentes, doigts pliés).
- Votez : le plus drôle choisit le prochain thème.
Ça a l’air simple ? C’est un super entraînement ! Ils apprennent que produire ≠ vérifier, exactement comme un développeur XP qui teste avant d’intégrer.
Envie d’aller plus loin ? Imprimez le dessin, collez les erreurs en fluo : papier + discussion = mémoire ancrée. Et si cette lenteur partagée devenait votre nouveau rituel de complicité ?
3. Travail en binôme : la relecture, super-pouvoir parental
XP prône la pair programming ; à la maison, adoptons la pair relecture. Le soir, 10 minutes suffisent :
- L’enfant lit sa production (rédaction, message, code Scratch).
- Parent questionne : « Que veux-tu dire ici ? » « Comment prouver ce chiffre ? »
- On reformule, on reforme… on sourit.
Objectif : faire passer l’idée qu’un texte (ou un programme) vivant se soigne, s’améliore, se partage. Joshua Kerievsky insiste : les pratiques XP structurent la qualité pour que l’IA devienne collaborateur et non dispensateur. Transposé à l’enfance, cet état d’esprit évite la panne de confiance (« si l’IA l’affirme, c’est vrai ») et nourrit l’auto-exigence.
4. Fabriquer des « tests » de vraie vie
XP sans tests, c’est une tarte sans pommes. Les petits tests vérifient chaque brique de code ; nos kids ont besoin d’équivalents concrets.
Exemple minute : ils veulent monter un stand de limonade. Avant d’investir, « testons » :
- On sonde les clients – demander à trois voisins s’ils aiment l’idée.
- Test prix – proposer deux gobelets à 1 € puis 1,50 €, noter le choix.
- Rétro – qu’est-ce qui a plu ? améliorer la recette.
Même démarche pour un devoir d’histoire : reformuler la problématique, vérifier la logique, montrer à un camarade. Quand ils goûtent au plaisir d’itérer, la lenteur devient une aventure valorisante, pas une contrainte.
5. Grandir debout : esprit XP, espoir durable
Le risque aujourd’hui ? « Shipper » (expédier) des idées toutes faites plus vite qu’on ne peut les penser. En enseignant XP à l’échelle d’une famille, on offre trois cadeaux:
- Précision : vérifier avant d’affirmer.
- Co-éducation : parents et enfants apprentis codeurs de la vie.
- Espoir : la technologie n’est pas une marée, c’est un véhicule ; on tient le volant.
Alors, que votre prochaine balade au parc débouche sur un quiz « trouve l’erreur » ou qu’un dîner inspire un mini-débat « IA ou pas IA », rappelez-vous l’étreinte chaude du code bien relu : ralentir, c’est respirer.
Et si, demain, vos enfants codent eux-mêmes leur première application, ils sauront qu’un programme robuste se construit comme un pont : pas à pas, rivet après rivet, en regardant l’horizon… plutôt qu’en courant les yeux fermés.
Source : Should we revisit Extreme Programming in the age of AI?, Hyperact, 2025/09/05