Le Protocole Secret de Notre Famille

Il est 20h17. Je te regarde, penchée sur la tablette de la cuisine, une mèche rebelle échappée de ton chignon. Toujours ces mèches, même après tous ces ans ! L’écran projette une lumière bleue sur ton visage tendu tandis que je découvre un article sur les protocoles informatiques.

Ces systèmes qui cherchent désespérément à se comprendre. Et soudain, cette pensée qui nous traverse tous les deux souvent : cette recherche de la bonne connexion, n’est-ce pas là notre quotidien ?

Notre propre protocole de communication, n’est-ce pas ? Je vois la façon dont tu jettes un coup d’œil à l’horloge du micro-ondes quand j’entre… c’est notre code. Et je sais que tu reconnaîtras la façon dont je pose mon sac d’ordinateur sur le côté gauche de la chaise – cela signifie que la journée de travail s’accroche encore à moi.

Tout comme un système informatique, nous avons construit nos propres couches : la couche physique : les petites mains qui cherchent notre pyjama dans le couloir. La couche de liaison de données : la façon dont nous nous passons le bébé comme un secret partagé entre deux appels. Ces moments où notre système rencontre une erreur de protocole, quand tu dois traduire ‘maman est épuisée’ en un sourire pour l’école.

Nous nous sommes retrouvés sous la pluie à la porte de l’école. Tu as pris la boîte en plastique de ma main sans un mot. Et ce serrement de main si vite, presque imperceptible – ces trois secondes qui signifiaient ‘Je sais que tu te noies aussi’. Ces trois secondes où le monde s’arrête, juste assez pour se rappeler qu’on n’est pas seuls. Comme ce fameux ‘Belle poutine qu’on se fait’ qu’on se murmure quand les mots manquent.

Cette communication qui s’installe quand les mots ne viennent plus. Quand tu cherches le mot de passe de l’école dans la boîte aux lettres tandis que je consulte le calendrier numérique. Et quand nos yeux se croisent au-dessus de nos vies en désordre – c’est notre connexion stabilisée, notre flux de données qui recommence.

L’article parle de la perte inévitable de données. Je pense à nos moments perdus, comme ces deux secondes où tu commençais à me parler de ta promotion pendant que j’étais happé par les pleurs du bébé. Ou quand j’ai manqué que tu avais réussi ton examen de conduite, celui dont tu parlais depuis des mois. Ou quand j’ai manqué que tu portais à nouveau ces lunettes, celles que tu ne mets que quand tu sens que la fatigue te gagne.

On dirait que nous jonglons avec les restes de pizza et les derniers résidus d’énergie de nos âmes. Mais nous avons développé un système de reconnexion. Je vois la tasse que tu me laisses, celle avec le ‘Je suis fier de toi’ – c’est une nouvelle tentative de transmission. Et je m’efforce, moi aussi, de garder les lumières basses quand tu es encore là devant ton écran le soir.

En te regardant feuilleter le calendrier avec la même main qui berce le bébé, je réalise. Aucun protocole n’est parfait. Mais la façon dont tu as appris à lire la légère inclinaison de ma tête, comment j’ai compris le langage de nos tasses de café laissées à certains endroits – c’est notre connexion humaine. Et quelle beauté dans cette adaptation !

C’est ce langage silencieux de l’amour, plus fort que n’importe quel système…

Alors, quand demain arrivera un nouvel article sur la révolution informatique, je te regarderai. Toi, qui portes le poids du système dans tes mains, et qui le fais chanter malgré tout. Et je remercierai silencieusement pour ce protocole qui nous lie à deux, pas dans les normes techniques mais à travers la façon dont nous continuons, malgré les bâillements, à nous dire l’essentiel.